L'Eau, un enjeu géopolitique majeur

L'Eau, un enjeu géopolitique majeur
25/03/2021

Terre : La planète bleue
Si notre planète est constituée en grande majorité d’eau, l’eau douce ne représente que 2,5%, le reste étant de l’eau salée. Sur les 2,5%, une grande partie est figée sous forme de neige ou de glace.
70% de cette eau douce est destinée à nourrir les hommes. Mais l’eau est aussi nécessaire dans la plupart des secteurs comme l’industrie, l’énergie, l’agriculture, le textile, l’alimentation…

La présence de l’eau est cependant très inégalement répartie puisque 9 pays détiennent plus de 60% des réserves d’eau mondiales (Canada, États-Unis, Colombie, Brésil, Russie, Chine, Inde, Congo et Indonésie).
Ainsi, un habitant sur 3 n’a pas accès à l’eau potable, ce qui entraine contaminations et maladies. De surcroit le manque d’eau et les contaminations sont responsables de 10% des décès (chiffres ONU 2019), ce qui est plus mortel que les séismes ou les guerres.

En 2010, l’ONU a déclaré comme droit fondamental, l’accès à l’eau potable : « le droit à une eau potable propre et de qualité et à des installations sanitaires est un droit de l’homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie ».
Ce droit arrive très tardivement compte tenu de l’importance vitale de l’eau, mais cela permet au moins un meilleur arbitrage des politiques de gestion de l’eau, comme priorisation.

L’eau potable est devenue une denrée rare

Il est évident que les bouleversements climatiques auront un impact majeur sur le cycle de l’eau. C’est même une des conséquences les plus importantes, plus encore que l’augmentation de la température moyenne.

En moins d’un siècle, la population mondiale a été multipliée par 3,5, alors que la consommation d’eau a été multipliée par 6 ! Cette augmentation de la consommation est due à l’urbanisation grandissante et donc aux nouveaux besoins d’accès à l’eau dans les villes, mais également à l’agriculture qui fait de plus en plus appel à l’irrigation pour produire plus afin de nourrir de plus grandes populations.

Mais l’accès à l’eau est aussi de plus en plus problématique car lié à la pollution. L’augmentation des activités industrielles et des rejets de déchets toxiques, ainsi que l’accroissement du trafic fluvial et des activités agricoles dégradent la qualité de l’eau. En Chine, c’est 60% des cours d’eau qui sont pollués.
Cela induit bien évidemment de graves problèmes sanitaires. Et ce, d’autant plus que 80% des eaux usées ne sont pas traitées.
Sans compter le gaspillage comme par exemple à Mexico ou au Caire, où 70% de l’eau est perdue à cause des fuites.

Entre traitement, recyclage, aménagements urbains, l’innovation et les nouvelles technologies ont un rôle très important à jouer pour maintenir l’accès à l’eau potable.
D’Ici 2030, selon un rapport de l’ONU, le manque d’eau affectera près de 40% de la population mondiale.

Si l’accès à l’eau touche plus particulièrement les campagnes, ce risque pourrait aussi toucher de plus en plus de villes, du fait de l’urbanisation ou des changements climatiques. S’il se généralisait, ce choc sociétal pourrait exacerber les inégalités, entrainer des conflits et perturber les systèmes de santé.
Les métropoles du Cap, de Karachi, de Casablanca, sont déjà menacées par ce que l’on appelle « le jour 0 », celui ou l’eau ne coulera plus du robinet… De même que Mexico, Madrid, Barcelone, Berlin, Rome et même Londres à plus long terme.
Ce stress hydrique des métropoles est dû au prélèvement d’eau plus important que les ressources ne le permettent (ce que l’on appelle le stress hydrique), et sans renouvellement des stocks…

Si le stress hydrique augmente, cela entraine des rivalités d’usage entre ceux qui ont un accès correct à l’eau potable et ceux qui y sont mal raccordés, notamment les populations les plus pauvres.

L’agriculture est encore de loin le secteur le plus demandeur en eau, puisqu’il contribue pour 70 % des prélèvements et 93 % de la consommation globale, essentiellement dans les pays en développement où l’agriculture demeure une activité majeure. Elle est de ce point de vue le secteur le plus problématique pour la gestion des ressources en eau : la demande croissante dans le secteur agricole est de moins en moins satisfaite par l’usage des eaux de pluie et de surface, mais de plus en plus par des prélèvements souterrains, qui mènent souvent à l’épuisement de la ressource.

Géopolitique de l’eau

L’eau est un bien commun avant d’être une ressource économique, mais sa rareté commence à attiser de plus en plus les convoitises.

On distingue une “diagonale de la soif” qui s’étend de Gibraltar jusqu’au Nord-Est de la Chine. Cette diagonale passe par des pays déjà en proie à de vives tensions politiques et sécuritaires. Dans cette large région le changement climatique s’exprime à plein régime avec une diminution de la moitié des ressources en eau.
L’Australie est aussi une zone excessivement inquiétante avec ses feux de bush. Mais l’Australie a su tirer la sonnette d’alarme très tôt. Dès les années 90, le pays a misé sur la technologie pour trouver des solutions et investi dans les infrastructures.

En général, l’eau génère plutôt des coopérations entre les pays et pour l’instant très peu de conflits sont directement liés à l’eau. Mais l’évolution du changement climatique fait naitre une augmentation des tensions autour de la problématique de l’eau.

Depuis une dizaine d’années, les spécialistes observent un net accroissement des conflits et tensions liés à la répartition de la ressource en eau. D’autant que sur un plan géographique, la plupart des grands fleuves mondiaux sont transfrontaliers.

Le Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources constate une hausse significative du nombre de conflits liés à l’eau. Entre 2000 et 2009, on en recensait 94, et ce chiffre s’élevait à 263 entre 2010 et 2018.

L’eau devient alors un instrument de pouvoir aux mains des pays situés en amont des cours d’eau, qui peuvent en maîtriser le débit. Au Moyen-Orient, l’eau est par exemple au cœur des conflits entre Israël et la Palestine, tout comme en Égypte et en Éthiopie autour du barrage de la Renaissance sur le Nil.

Une situation qui devrait encore s’aggraver dans les décennies à venir : d’ici à 2030, la demande en eau pourrait être supérieure de 40 % aux disponibilités de la planète, selon les projections de la Banque mondiale.

Un seul et bel exemple d’accord géopolitique est celui du fleuve Sénégal. Le fleuve est géré par un organisme indépendant, et les 4 pays riverains (Guinée, Sénégal, Mali et Mauritanie) sont donc copropriétaires des infrastructures, et partagent à la fois les coûts et les bénéfices selon une clé de répartition. Cette structure indépendante permet de maintenir une gestion harmonieuse de la ressource du fleuve, répartie sur les différents pays frontaliers.

La conclusion qu’il faut tirer de ces constats est qu’en toutes circonstances, les problèmes de développement ou de conflits suscités par les difficultés d’accès à l’eau sont des problèmes de gestion de ressource rare davantage que de disponibilité de la ressource. Ces problèmes prennent des formes diverses selon les situations en question : il peut s’agir de manque d’investissement en infrastructures pour améliorer l’accès à l’eau, de manque de coopération dans la gestion transfrontalière des ressources en eau, de gaspillages dans les utilisations diverses de la ressource.

Révolution financière de l’eau

Cette ressource qui devient d’une rareté inestimable attire de fait les convoitises.
Mike Young, un économiste australien, est le pionnier de la théorie de la vente de l’eau sur les marchés. Selon lui, l’eau va devenir rare dans les années à venir. « Ainsi, cette ressource doit être gérée de la manière la plus optimale possible. La seule façon de réguler cette optimalité se trouve sur les marchés. Les marchés permettent ainsi d’agir sur la consommation d’eau, tout en favorisant le marché concurrentiel ».

L’introduction en bourse de contrats à court terme sur l’eau est un premier voyant d’un futur basé sur la privatisation de l’eau. Les économistes néoclassiques, en spéculant sur les conditions climatiques et sur l’augmentation de la population, ont compris l’importance de cette ressource.

L’eau est en passe de devenir le nouvel or noir du 21ème siècle. Tout de même, certains économistes se battent pour la gratuité et contre la marchandisation de bien comme l’eau. Il s’agit des partisans du modèle de la décroissance. Le principal argument est de montrer que les ressources planétaires sont limitées et donc que la croissance, telle qu’elle est mise en avant aujourd’hui, est menacée.

Étant une ressource indispensable à la vie, on pense d’abord à l’eau comme un droit dont pour chaque être humain. Et de fait, la communauté internationale reconnaît également l’accès à l’eau comme un droit de l’homme qu’il convient de protéger. Mais l’eau n’en est pas moins un bien économique comme un autre, l’important étant de centrer la problématique sur les usages de l’eau les plus essentiels.

Ce qui doit nous amener à toujours considérer l’exigence de solidarité dans les solutions imaginées pour résoudre les difficultés d’accès à l’eau, surtout lorsque les plus pauvres et les plus faibles sont concernés.

Mais dans certains pays, l’eau est déjà devenue un produit financier, comme au Royaume-Uni, en Australie, ou encore aux États-Unis.
Si ailleurs l’eau est encore partie intégrante du domaine de l’environnement, on voit bien les pressions des acteurs privés qui veulent en faire une ressource économique.

Cette privatisation de l’eau pourrait entraîner des conséquences dramatiques sur la vie de milliards d’êtres humains. Défendre ce droit d’accès à l’eau semble plus vital que jamais.

– Muriel PAUL