Le travail est-il une nécessité ?
« Démocratie, liberté, responsabilité, droit, solidarité, connexion, sociologie, diversité » sont regroupés dans un des sept domaines identifiés par l’équipe pour faire rayonner des idées liées au thème de cette édition : Terre notre vaisseau.
C’est à travers l’angle de l’évolution de notre rapport au monde du travail que j’ai envie d’explorer ce thème avec vous aujourd’hui. L’idée est venue suite à une discussion avec deux collègues de TEDx Saclay, merci Marine et Dorian :-)
Voici quelques rencontres ces dernières années qui m’ont donné envie de questionner mon regard sur le monde du travail.
J’avais été surprise de découvrir l’étymologie du mot « Travail » qui renvoie à tripalium qui lui-même viendrait de tri-palus, structure à trois pieux utilisée pour la torture des esclaves et des animaux. Cela explique peut-être pourquoi, dans l’inconscient collectif, le « travail » a certainement gardé cette connotation de souffrance.
Mais bien avant cela, c’est « Germinal » le livre d’Emile Zola qui avait secoué mon imaginaire d’adolescente. J’y avais découvert avec effroi la violence du monde du travail des mines avec son lot d’injustice, de souffrance et les mauvaises conditions de travail des ouvriers.
La révolution industrielle a certainement pris un grand tournant avec le système de production inventé par Henry Ford : sans doute l’épisode le plus décisif de l’Histoire de l’industrie mondiale au XXe siècle qui, à mon sens, a commencé par mettre l’humain au second plan après les machines.
Je trouve que Charlie Chaplin, avec son regard d’humoriste critique, avait décelé de manière visionnaire ce problème dans son film « Les temps modernes ». J’ai revu la bande-annonce qui remonte à 1936 : le film reste pourtant d’actualité, le personnage lutte pour survivre dans le monde industrialisé.
Ce film est une satire du travail à la chaîne et un réquisitoire contre le chômage et les conditions de vie d’une grande partie de la population occidentale lors de la Grande Dépression, imposées par les gains d’efficacité exigés par l’industrialisation des temps modernes.
Le Fordisme continue aussi aujourd’hui de manière plus déguisée : la machine est remplacée par un écran et l’humain est mis au second plan derrière des objectifs de rentabilité avec une vision qui ne va pas au-delà de quelques trimestres.
Un autre événement marquant qui remonte à quelques semaines me questionne aussi : « Est-il possible d’allier mission humaniste et durable de l’entreprise avec performance et rentabilité ? »
Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, que j’avais découvert grâce à Kareen, merci :-), et dont j’avais adoré le discours humaniste lors de la cérémonie de remise des diplômes d'HEC Paris en 2016 a été évincé par les actionnaires de manière brutale sous la pression de certains investisseurs, le rendant responsable des mauvais résultats du groupe français depuis le début de la pandémie.
Je retiens pourtant de ce discours quelques graines.
Sans justice sociale il n’y a pas d’expansion économique réelle.
Un leader accède facilement à trois ingrédients dans le cadre de sa mission : le pouvoir, la gloire et l’argent. Les deux derniers ne peuvent rendre à terme un leader heureux, il est facile d’en devenir esclave. Quant au pouvoir, il y a deux manières de le gérer : déployer tout son génie pour dominer l’autre ou déployer un pouvoir qui apporte du sens, le leadership qui se met au service de l’autre. Le fameux « Servant leadership » que Liz theophile, Chief Technology Transformation Officer à Novartis, incarne et qu’on a eu la chance d’avoir comme speaker en 2019.
Gunter Pauli, le « Steve Jobs » du développement durable, est catégorique. Il faut sortir du modèle de consommation et de production actuel pour basculer dans ce qu’il appelle « l’économie bleue », un modèle dont le principe n’est pas destructeur de ressources… mais régénérateur.
Persuadé que la transition passera par nos usages plutôt que par les entreprises, il réagit pour nous à l’éviction d’Emmanuel Faber par les actionnaires de Danone.
« Qui dit « transition » dit « individu pour la mener ». Écarter cet individu, c’est décapiter l’entreprise : les actionnaires reviennent à la charge pour imposer d’anciens modes de contrôle et de direction. Dégager des dividendes, tout surveiller, partout et tout le temps, sacrifier les agriculteurs pour obtenir les meilleurs prix, obtenir le maximum des subventions d’État… Avec le départ d’un seul homme, c’est l’élimination d’une opportunité. Et le retour au point de départ. »
Le rapport avec le travail a bien évolué et quelques autres signes me réconfortent car je reste convaincue que pour que les grands changent, la révolution doit se faire chez chaque individu qui va inspirer un collectif avec lui #InspirerPourAgir.
A ce titre, quelle joie de voir des étudiants interpeller leurs futurs employeurs sur l’écologie en 2018.
« Après chaque présentation sur le réchauffement climatique organisée par son association DDX (Développement durable à l’X, l’École polytechnique), il vivait un moment « désagréable », une sorte de « douche froide ». « Rien que la présentation factuelle de la situation était étourdissante », raconte Corentin Bisot, élève ingénieur en troisième année à l’X. C’est après ces conférences auxquelles des experts étaient invités, souvent des polytechniciens, que cet étudiant de 22 ans se décide à contacter les autres associations « vertes » des écoles du plateau de Saclay : HEC, l’Ecole Normale supérieure, AgroParisTech et CentraleSupélec. Les étudiants de ces associations se voient plusieurs fois courant 2018 et conviennent de rédiger ensemble un manifeste.
PPublié en septembre, le texte obtient vite un soutien auprès des étudiants : début février, ils étaient près de 30 000 à l’avoir signé. « L’effet réseau a joué, c’est sûr », analyse Théo Miloche, étudiant de 22 ans en double diplôme Sciences Po et HEC, qui a découvert la démarche lorsqu’il était en stage au Ministère de la Transition Écologique, en septembre.
Au cœur de ce texte réside l’idée que ces futurs jeunes diplômés, issus pour la plupart de grandes écoles prestigieuses, pourront choisir leur poste en fonction du comportement écologique de l’employeur. « En effet, à quoi cela rime-t-il de se déplacer à vélo quand on travaille pour une entreprise dont l’activité contribue à l’accélération du changement climatique ou à l’épuisement des ressources ? », questionnent les étudiants dans le manifeste. »
Voici un autre exemple de changement de tendance, accéléré par la pandémie de la COVID-19 : en quoi travailler à domicile est bon pour les affaires ?
Matt Mullenweg - co-fondateur de la plateforme de blogs open-source WordPress, la plateforme de publication la plus populaire sur le Web, et fondateur et PDG d’Automattic - en a fait sa stratégie d’expansion :
Matt Mullenweg: « Je suis le PDG d’Automattic, l’entreprise derrière WordPress.com, Jetpack et WooCommerce. Nous arrivons à plus de 800 employés et ils vivent partout, de la Californie à l’Alabama, le Mississippi et le Texas, où je vis. Ils sont aussi dans 67 pays. Canada, Mexique, Inde, Nouvelle-Zélande. Certains n’ont même pas de port d’attache et sont nomades. Qu’ils soient dans un camping-car ou des Airbnb, c’est un nouvel endroit chaque jour, semaine, mois. Tant qu’ils ont un bon Wi-Fi, peu nous importe où ils sont.
L’importance du travail distribué n’est pas arrivée par hasard. C’est un choix conscient depuis le tout début. Remarquez que je n’ai pas dit « à distance », ce qui établit un point de vue selon lequel certains sont essentiels et d’autres pas. J’utilise le mot « distribué » pour ce que nous faisons, tout le monde est égal.
A la base de la décision d’être distribués, il y a un désir d’offrir aux gens de l’autonomie pour leur travail. Sauf à ce qu’ils aient un rôle où les horaires importent, vous gérez votre agenda. Tout le monde peut avoir ses fenêtres, ce qu’il veut manger, choisir quand il y a de la musique et quand il y a du silence. Vous pouvez choisir la température de la pièce. Vous gagnez le temps de trajet et l’utilisez pour des choses plus importantes. »
Une autre tendance que j’ai captée est celle des espaces de co-working qui connaissent de plus en plus de succès. Chris Cooley a poussé le concept encore plus loin, il défend le co-working basé non pas uniquement sur le partage du même espace mais le co-working basé sur la communauté.
Et si vous voulez révolutionner votre regard sur le monde du travail, « le travail est-il une nécessité ? » Quel est le rôle de la civilisation ? Je n’ai pas trouvé mieux que cet entretien d’Albert Jacquard que j’ai découvert en 2017 et qui a révolutionné mon regard sur le travail. . Il est biologiste, généticien, ingénieur et essayiste français. Je vous invite à l’écouter entièrement, c’est un réel bijou.
Je le cite : « Les vrais biens échangés sont des idées… quand on échange des biens on ne crée rien, tandis que quand on échange des idées, on crée… L’échange des biens matériels ne produit pas, l’échange des idées produit… On est loin du travail, on est en pleine civilisation…»
Travail distribué, co-working basé sur la communauté, se mettre au service de l’autre, la joie de créer et d’échanger des idées, la joie de se rencontrer en présentiel ou en digital interactif, sont certainement ce qu’expérimente avec joie l’équipe TEDx Saclay depuis 2015 et elle sera ravie de partager avec vous les fruits de préparation de cette 6ème édition lors de la journée du 24 juin 2021.
Assya VAN GYSEL
‘#JoieEnAction